Dans l’hôtellerie, la tentation du re-remplissage des produits d’accueil …
Entre illusion écologique, contraintes réglementaires et impensés sanitaires !
Dans les chambres d’hôtel, les produits d’accueil ont longtemps incarné l’hospitalité
Un petit flacon de gel douche, un shampooing miniature, une crème posée sur un marbre clair. Mais ces objets familiers, emblèmes d’un luxe discret, vivent leurs dernières années en Europe. Sous l’impulsion du nouveau règlement sur les emballages et déchets d’emballages, la Commission européenne prépare l’interdiction des conditionnements plastiques à usage unique de moins de 100 ml, d’ici 2027 ou au plus tard 2030.
Cette transition accélère une recomposition déjà amorcée : des solutions alternatives émergent, entre distributeurs à poches hermétiques pré-remplies en usine et flacons de grande capacité que l’hôtel remplit lui-même à partir de bidons. Cette dernière option, séduisante par sa simplicité apparente, se trouve pourtant au cœur d’un paradoxe : en croyant adopter une pratique écologique, nombre d’hôteliers s’éloignent des exigences d’hygiène, de traçabilité et de conformité imposées par la réglementation cosmétique européenne.
Les règles en matière de cosmétiques est aussi stricte que pour l’alimentation.
C’est en échangeant avec un hôtelier, très scrupuleux sur la partie restauration en affichant tous les allergènes sur ses menus, que je me suis rendue compte que pour la partie « cosmétiques », il était essentiel de revenir sur quelques règles et informations.
Spa-A a souhaité faire appel à ses experts pour répondre à vos questions. Merci à Marjorie Perrimon (expert réglementaire et toxicologue), et Véronique Brin (Laboratoire Vie Arome), et Elodie Suet (Coach HEC), qui ont très largement contribué à la documentation de cet article et répondu à mes questions.
Depuis 2009, le secteur cosmétique européen est régi par le Règlement (CE) n°1223/2009, texte de référence qui encadre strictement la sécurité, la traçabilité et l’information du consommateur. Ce cadre impose aux opérateurs – fabricants, distributeurs, importateurs, et parfois les hôteliers eux-mêmes – des obligations précises, notamment lorsqu’ils manipulent un produit cosmétique après sa fabrication.
Le re-remplissage manuel fait entrer l’hôtelier dans le périmètre de ce règlement, un détail souvent ignoré. Et c’est là que le geste banal du remplissage se heurte à un ensemble d’obligations difficiles à satisfaire hors d’un environnement industriel.

Le re-remplissage : une hygiène difficilement compatible avec la réglementation
Dans une usine cosmétique, le remplissage d’un contenant obéit à des protocoles d’hygiène extrêmement stricts. Dès qu’un produit est transvasé, il doit l’être :
- dans des conditions maîtrisées,
- avec des équipements désinfectés ou aseptisés,
- dans un contenant parfaitement propre et sec,
- selon des procédures validées.
Cette logique découle directement des exigences de sécurité du Règlement (CE) n°1223/2009, notamment son article 3 (« Produits sûrs »), qui impose que tout produit mis sur le marché soit sûr dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles d’utilisation.
Rien de cela n’est reproductible en hôtellerie !
Comment doit se faire le re-remplissage ?
Dans les offices d’étage, aucun espace n’est conçu pour un nettoyage aseptique des contenants. Les flacons sont rarement vidés complètement, encore moins lavés selon un protocole standardisé, séchés à l’air contrôlé ou désinfectés selon une procédure validée.
Le risque microbiologique est bien documenté : résidus d’eau au fond des distributeurs, biofilms sur les parois, multiplication de bactéries lors d’un simple mélange de deux lots successifs. Des phénomènes invisibles aux yeux du client mais parfaitement connus des experts en microbiologie.
Les obligations réglementaires que le re-remplissage rend quasi impossibles à respecter
Qu’en est-il de la tracabilité avec le numéro de lot ?
Le Règlement (CE) n°1223/2009 encadre également la traçabilité, au centre des articles 12 et 19.
Article 12 : Déclaration et traçabilité
L’article 12 impose la capacité à identifier, à tout moment, les fournisseurs et les distributeurs du produit. En cas de re-remplissage, chaque opération devient un « acte de fabrication » qui doit être tracé. Cela implique :
- un numéro de lot propre au remplissage,
- un enregistrement dans un registre,
- la capacité à reconstituer l’historique du produit en cas d’incident.
Dans la réalité hôtelière, ces opérations ne sont presque jamais documentées.

Quel est l’étiquetage obligatoire sur le flacon ?
Article 19 : Étiquetage
L’étiquetage impose l’affichage du numéro de lot et des informations pertinentes sur chaque unité. Après re-remplissage, le lot d’origine n’est plus valable. Le flacon devrait donc être ré-étiqueté… ce qui n’est jamais fait.
En conséquence, un distributeur rempli manuellement, sans lot, sans registre et sans étiquetage actualisé, entre en non-conformité réglementaire immédiate.
Un risque juridique souvent sous-estimé.
En cas d’incident dermatologique – rougeur, irritation, réaction allergique –, l’hôtelier doit prouver la conformité du produit. Sans traçabilité, aucune analyse ne peut être menée.
Le client peut se retourner contre l’établissement, qui assume alors une responsabilité qu’il ne mesure pas.
Gel douche, shampooing, conditionneur, huile pour le corps ou lait pour le corps : quels sont les plus grands risques de contamination ? Pourquoi ?
Les produits contenant de l’eau sont les plus à risque (gel douche, shampooing, après-shampooing, lait) et ceux dont la viscosité moyenne (ex : savons liquides) facilite l’introduction de micro-organismes lors du remplissage.
Les huiles (sans eau) peuvent s’oxyder si elles sont mal stockées.
La fréquence de manipulation augmente le risque, d’où l’importance de l’application d’un protocole strict ainsi que la formation du personnel sont nécessaires.
Si j’utilise des flacons à pompe, le risque n’existe qu’au niveau du remplissage ?
Non, pas seulement. Un flacon partiellement vide et exposé à la chaleur rend les conservateurs moins efficaces. Lors du remplissage, le flacon doit être nettoyé et désinfecté correctement, et les microbes peuvent être introduits au contact de l’air, des mains, de l’entonnoir. Enfin, si le flacon est endommagé (microfissures), les bactéries peuvent se développer et si la pompe est usée, elle peut aspirer de l’air contaminé.
Et les sels de bains ?
Le risque microbiologique est faible mais s’il y a de l’eau par humidité ou vaporisation dans le flacon, les sels peuvent s’agglomérer et développer des germes.
En dehors du risque de contamination, ne pas perdre de vue l’obligation d’informations en cas de colorants et la présence possible d’allergènes en cas de parfums ou huiles essentielles.
Comment doit se faire le nettoyage et la désinfection des flacons si ré-utilisés ?
On doit donc attendre qu’ils soient totalement vides ?
Oui, il vaut mieux attendre qu’ils soient totalement vides afin de le rincer à l’eau chaude, les nettoyer avec un détergent doux (Ecolabel …), rincer abondamment, désinfecter à l’alcool (ex : 70°) ou solution désinfectant compatible, ne pas sécher avec un torchon mais à l’air libre, re-remplir avec des gants dans un espace dédié.
A défaut d’avoir la liste d’ingrédients (liste INCI et numéro de lot) dans la chambre, sur le flacon ou sur un panneau, est-il possible de la consulter à la réception ?
Le mieux est sur le flacon. A défaut, un affichage obligatoire avec la liste INCI, le n°de lot, les précautions d’emploi, le fournisseur doit être accessible au client (à la réception, QR code, panneau, dans le livret d’accueil)
Sur un exemple de bidon que m’a présenté un hôtelier, j’ai pu voir que la formule contenait de la colmarien photosensibilisante. Ne faut-il pas prévenir le client de ne pas la porter avant d’aller au soleil ?
Oui, je confirme pour tout ingrédient photosensibilisant. Doit être indiquée sur le produit une mention de précaution, par exemple « Ne pas s’exposer au soleil après application ». Sinon, l’hôtelier s’expose à un risque sanitaire (réaction cutanée, coup de soleil) et sa responsabilité juridique est engagée.
Y a-t-il une formation ou des recommandations données par les fabricants ?
Normalement oui. En cas de vente de produits en vrac à visée de reconditionnement, le fabricant doit pouvoir mettre à disposition le protocole de remplissage, les modalités de nettoyage, la fiche technique, la fiche de sécurité, les mentions légales, la bonne utilisation du matériel.
Quelles sont les pratiques que vous recommanderiez ?
Bien fermer les vracs de produits après ouverture et éviter toute détérioration par la chaleur, la lumière, l’humidité. Faire un contrôle couleur/texture avant remplissage.
Avoir un espace propre et aéré dédié au remplissage, éloigné de la cuisine ou de la buanderie.
Utiliser des flacons certifiés airless si possible.

Ne JAMAIS mélanger un ancien produit avec un nouveau.
Nettoyer, désinfecter, sécher (à l’air libre sur étagères propres) à chaque remplissage.
(Nettoyer également la pompe ou le bouchon, démonter si possible, laver, rincer, désinfecter, pomper 2-3 fois de l’eau claire pour rincer le conduit, laisser sécher)
Former le personnel au protocole de remplissage, à l’hygiène (nettoyer et désinfecter la surface de travail, se laver les mains, gants propres, désinfecter l’entonnoir avant utilisation), et aux manipulations (ne pas toucher l’intérieur du bouchon, éviter débordements, mousses, refermer immédiatement le bidon, refermer le flacon hermétiquement, étiqueter avec numéro de lot, …).
Avoir un carnet de remplissage (fiche de traçabilité : date, type de produit, numéro de lot bidon, nom de la personne ayant réalisé l’opération) ou version numérique.
Limiter les assemblages ou la personnalisation « maison » pour éviter les risques allergènes.
Garder tous les documents réglementaires fournis pas le fabricant.
C’est bien de vouloir une senteur originale, propre à votre établissement, mais quel est le risque de choisir une formule qui n’a pas été « testée et approuvée » ?
Un hôtelier-spa ne doit jamais proposer un produit cosmétique ne passant pas par un toxicologue avec dossier DIP. Il encourt sinon un problème de non-conformité réglementaire, l’absence de tests microbiologiques, des risques d’allergies ou de photosensibilisation, l’absence de traçabilité, et donc la responsabilité du directeur de l’établissement en cas d’incident.
Sur un grand salon international, j’ai pu rencontrer une jeune start up, qui proposait des produits d’accueil rechargeable. A ma question sur le numéro de lot, la réponse a été : « Nous n’avons fait qu’une seule production, alors c’est facile ! » J’avoue que je suis un peu restée sans voix. Quelle information devons-nous passer ?
Sans numéro de lot, le produit n’est pas conforme et ne devrait pas être utilisé par l’hôtel-spa. Même une seule production doit avoir un numéro de lot, une date de fabrication, une DDM, un dossier réglementaire pour permettre la traçabilité (ex : identification d’un ingrédient contaminé).
Pour que vous appreniez aussi à lire une liste INCI : les noms sont souvent en latin, plus de 70 % de la formule tient dans les trois premiers ingrédients. Aqua, c’est compréhensible, n’est-ce pas ?
Vitis vinifera seed oil, c’est de l’huile de pépins de raisins, Sesamum Indium Seed Oil, c’est de l’huile de sésame, Simmondsia Chinensis Seed Oil, c’est de l’huile de jojoba.
Ensuite, quels sont les parfums ?
Attention, les parfums … Allergisants ?
Les ingrédients sont par ordre décroissant d’importance. Les parfums peuvent contenir 26 allergènes (Limonene, Linalool, Citral, Coumarin, …) qui doivent être déclarés.
La DLUO (Date Limite d’Utilisation Optimale)
Il faudrait pouvoir noter la date d’ouverture du produit (pour respecter la DLUO), la température de stockage des vracs et produits finis, vérifier les matériels utilisés (ex : gants jetables et entonnoirs inox propres), faire un contrôle des flacons (absence d’odeur anormale, pompe fonctionnelle, flacon conforme pas déformé ni fissuré), gérer les retours clients en cas de réaction cutanée.
Le coût opérationnel d’une pratique présentée comme économique
Sur le papier, les bidons de cinq litres paraissent avantageux. Dans la pratique, ils génèrent une série de coûts invisibles :
- Le poids (plus de 5 kg) complique le travail des femmes de chambre et des techniciens.
- Les déplacements répétitifs vers les réserves augmentent la charge horaire.
- Les remplissages provoquent coulures, salissures, nettoyages supplémentaires.
- Les distributeurs tachés détériorent l’image de propreté de la chambre.
L’économie attendue s’érode rapidement dès que l’on tient compte du temps passé, de la manutention, et des risques d’accident ou d’incident.

L’illusion écologique : un récit séduisant, mais souvent faux
La motivation initiale repose sur une intention sincère : réduire les emballages plastiques.
Mais les analyses de cycle de vie démontrent que :
- un bidon de 5 L utilise plusieurs fois plus de plastique qu’une poche souple,
- les pertes de produit lors du remplissage sont significatives,
- les nettoyages supplémentaires augmentent l’empreinte carbone,
- une mauvaise hygiène conduit parfois à devoir jeter prématurément les distributeurs endommagés.
L’écologie intuitive se heurte à l’écologie réelle.
Les poches hermétiques : une solution plus discrète, mais conforme, sûre et durable
Face à ces impasses, les distributeurs à poches scellées pré-remplies s’imposent progressivement.
Ils garantissent la conformité au Règlement (CE) n°1223/2009
- La poche est remplie en usine, selon les Bonnes Pratiques de Fabrication (annexe I du règlement).
- Chaque unité comporte un numéro de lot, satisfaisant l’article 19.
- L’hôtel n’intervient jamais sur le produit, ce qui lui évite de devenir « fabricant » au sens réglementaire.
- La traçabilité est assurée jusqu’au bout de la chaîne, conformément à l’article 12.
Ils réduisent les risques sanitaires;
La poche n’est jamais ouverte : pas de contact avec l’air, pas de contamination possible.
Ils améliorent la performance environnementale.
La consommation de plastique est nettement réduite. Les déchets sont plus légers et compacts. Les pertes de produit sont quasi nulles.
Ils allègent la charge opérationnelle.
Changer une poche prend quelques secondes.
Le personnel ne manipule jamais le produit, limitant les TMS, les coulures, les erreurs.
Une transition révélatrice : entre improvisation écologique et exigences invisibles
La disparition programmée des petits flacons oblige les hôteliers à repenser leur organisation. Le re-remplissage, solution spontanée, intuitive, perçue comme « durable », se révèle à l’examen la moins conforme, la moins sûre, la moins traçable et souvent la moins écologique.
À l’inverse, les systèmes industriels – poches scellées, traçables, propres et contrôlés – incarnent la voie la plus solide pour répondre aux exigences du droit européen et aux attentes des voyageurs.
Au-delà d’un simple changement de conditionnement, cette mutation oblige le secteur à repenser son rapport à l’hygiène, au risque, à la preuve, et même à la confiance. Parce qu’au fond, un flacon en chambre n’est jamais un détail : il est l’un des premiers vecteurs de la responsabilité sanitaire d’un hôtel.
INCROYABLE MAIS VRAI …
Personne d’entre nous n’a envie de se frotter aux inspecteurs de la DGCCRF, il convient donc d’appliquer les « bonnes pratiques » pour ne pas être inquiété. Et n’oubliez pas que le fournisseur est aussi responsable, car c’est bien lui qui est supposé vous former et vous fournir toutes les informations.
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Quels sont les sanctions financières et pénales si l’hôtelier est soumis à un contrôle des autorités sanitaires ?
En cas de contrôle, un hôtel qui re-remplit ses flacons de gels douche ou shampoings sans respecter le règlement cosmétique européen s’expose à des sanctions significatives. La DGCCRF peut considérer que le produit n’est plus conforme ni sûr, ce qui entraîne des amendes pouvant aller jusqu’à 300 000 €, notamment pour mise sur le marché d’un produit non conforme ou pour pratique commerciale trompeuse (numéro de lot erroné, absence de traçabilité).
D’autres manquements — absence de nettoyage, mélange de lots, non-respect des Bonnes Pratiques de Fabrication — peuvent également conduire à des amendes complémentaires allant jusqu’à 100 000 €, à la saisie ou destruction des produits, ou à une mise en demeure de mise en conformité.
Sur le plan pénal, si un risque pour la santé du consommateur est établi, le responsable de l’établissement peut être poursuivi pour mise en danger d’autrui, passible d’une amende pouvant atteindre 75 000 € et d’un an d’emprisonnement. Enfin, en cas d’incident auprès d’un client, la responsabilité civile de l’hôtel peut être engagée, avec des indemnisations parfois élevées.
Au-delà du risque sanitaire, le coût d’un non-respect du règlement peut rapidement dépasser plusieurs dizaines de milliers d’euros, voire davantage pour les chaînes ou établissements multi-sites.
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Alors Amis Hôteliers, convaincus ?
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Marie-Paule Leblanc-Peru Présidente bénévole Spa-A.
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